Questions à Maxime Livio
Edité le 19/05/2020
Partager l'articleFaisant suite à notre post sur l'actualité de Maxime Livio, les membres de notre communauté ont eu l'opportunité de poser leur question à ce cavalier de CCE de très haut niveau que nous sponsorisons depuis plusieurs années. Voici donc les questions plus générales, auxquelles Maxime a répondu avec beaucoup de gentillesse et d'engagement.
Comment as-tu concilié ton parcours scolaire avec ton parcours équestre ? Comment as-tu réussi à intégrer le haut niveau ?
Déjà, j’ai eu la chance de rencontrer des entraineurs formidables qui m’ont appris beaucoup. Dès le plus jeune âge j’ai été entouré de gens qui se sont investis pour m’apprendre l’équitation et pas seulement me faire faire du concours.
Quand j’étais cadet, on a acheté un cheval de 5 ans, Jaïpur. J’ai été très bien conseillé par mon entraineur de l’époque, c’était un très bon cheval avec qui j’ai commencé les épreuves juniors quand il a eu 7 ans. En parallèle, j’étais scolarisé dans un lycée normal, je préparais un bac S et j’allais monter le soir après mes cours. Mes parents me laissaient manquer les cours pour aller en concours à condition que mes notes soient suffisamment bonnes pour me le permettre. Quand ce n’était pas le cas, j’étais privé d’équitation le temps de rattraper mon niveau scolaire, ça m’a vite obligé à trouver un équilibre entre les deux.
Mes parents n’étaient pas du tout professionnels du cheval, ils voyaient certes d’un bon œil le côté sportif, mais étaient moins enthousiastes à l’idée de se lancer professionnellement là dedans… C’est un métier un peu flou pour des gens qui ne sont pas dedans.
Après mon bac j’ai intégré la formation initiale à Saumur, ce qui permet en 3 ans de passer le monitorat, l’instructorat, de faire des stages… C’était Philippe Mull qui était entraineur national des juniors et jeunes cavaliers, et qui a créé le Pôle Espoir pendant que j’étais à Saumur, que j’ai intégré après mes 2 championnats d’Europe junior avec Jaïpur. Ca m’a permis de faire ma formation d’enseignant et de poursuivre vers le haut niveau, c’est comme ça que j’ai fait ma saison de jeunes cavs, toujours avec Jaïpur. Après, j’ai voulu prouver à mes parents que je pouvais vivre de ça donc j’ai loué une petite écurie pendant ma formation au pôle Espoir pour voir si je pouvais gagner assez pour ne plus dépendre d’eux financièrement. Ca a marché, on a commencé à me confier des chevaux. Des 4 ans au départ, puis un cheval un peu plus avancé, puis j’ai fait acheter Qatar à un propriétaire qui s’est présenté à moi. Cependant, le choix du 1er cheval est très important, puisque j’ai été des épreuves Juniors à Seniors et même Coupe des Nations en passant par Bramham avec Jaïpur, sans qui mon parcours aurait sans doute été plus compliqué.
Je pense que c’est très bien d’avoir un rêve au bout du chemin, j’en ai encore plein des rêves qui m’aident à construire mes projets, mes choix professionnels. Mais une fois qu’on a ciblé son rêve, il faut se poser la question de savoir de quoi on a besoin pour le réaliser : De l’expérience ? de la technique ? Des diplômes ? Autre chose ? Dans quel ordre ? Et au fur et à mesure de l’avancement dans les étapes, parfois le projet change. Le haut niveau fait rêver mais implique une vie particulière faite de sacrifices, on ne voit pas beaucoup ses copains, sa famille, on est souvent sur les routes. Quand on gagne c’est super, mais parfois on fait des milliers de kilomètres et on blesse un cheval, ou on tombe, et là ça devient très difficile de se dire qu’on sacrifie tout ça pour des moments comme ça. Le haut niveau donne très envie, mais c’est une vie particulière dont peu de gens ont envie d’assumer la réalité. Alors parfois au fur et à mesure du parcours vers le haut niveau, on peut potentiellement se réorienter un peu sans que ce soit un mauvais choix.
Quel métier aurais-tu fais si tu n’étais pas cavalier professionnel ?
J’aurais fait une fac de philo. Je ne sais pas trop où ça m’aurait mené, mais j’avais envie de me poser des questions, de réfléchir sur le fonctionnement du Monde. Ca m’intéresse toujours, d’ailleurs !
Quelles sont les valeurs les plus importantes dans ton équitation ?
Au quotidien je me mets une grosse pression pour être à la hauteur de mes chevaux : 90% des erreurs des chevaux sont dues à des erreurs d’équitation, j’essaye donc de ne pas en faire. J’accorde aussi beaucoup d’important à la connexion que j’ai avec eux, le fait d’être avec eux, d’avoir une tension des rênes confortable, une position qui ne les perturbe pas, une pression de jambe maitrisée. Et un état d’esprit qui consiste à les comprendre pour les convaincre sans les contraindre. On m’a toujours appris que faire adhérer un cheval donnait de meilleurs résultats que de lui imposer le travail. C’est quand le cheval a envie de lui-même qu’il va se livrer à 100 voire 110% et proposer les meilleurs sauts, les plus belles allures. J’aime bien que les chevaux participent, qu’on leur fasse confiance.
Que regarde tu en premier chez un cheval susceptible de te rejoindre ? Quelles sont les caractéristiques d’un bon cheval pour toi ?
Tout dépend bien sûr du niveau auquel on destine le cheval mais en ce qui me concerne, pour un cheval de haut niveau, c’est-à-dire non pas 4* ou Grand National mais vraiment 5*, mes critères sont les suivants, dans cet ordre :
- Le sang : N’importe quel cheval bien préparé peut tenir un effort de 7 minutes, avec un peu de sang il ira jusqu’à 8 ou 9, mais pour supporter des cross comme celui de Pau que j’ai déjà couru en 11:40, après la 11ème, le sang devient primordial. Ce que j’appelle le sang, ce n’est plus juste l’énergie, c’est aussi la sélection génétique qui apporte de réelles prédispositions à la discipline : de la même manière qu’on choisir plus facilement un pur-sang Arabe et pas un Selle Français pour l’endurance, on va rechercher en complet un apport de Pur Sang anglais, arabe, français, d’Anglo Arabe.
- La tête, le mental : Un cheval qui aime ce qu’il fait, qui n’a pas peur, qui est courageux va se battre pour l’effort.
- La santé, parce qu’un cheval avec de bons aplombs, de bonnes jambes, pas trop lourd, un bon équilibre, d’une taille adéquate pour optimiser les chances de supporter un tel effort
- La locomotion
- La qualité de saut
Pour moi on peut toujours travailler la locomotion, le dressage et l’obstacle, alors que les 3 premiers paramètres sont ceux qui permettront au cheval de nous emmener au bout du cross, même quand il dure 11 minutes, qu’il est vallonné et dans la boue.
Si on descend dans le niveau, moins le cross est long, plus on pourra mettre l’accent sur la locomotion et la qualité de saut, mais pour le haut niveau il ne faut vraiment pas déroger aux 3 premiers paramètres.
Quand je récupère un cheval au travail, j’aime bien déterminer son « profil psychologique » : Une fois qu’on a compris qui il était, je lui attribue une personnalité. Il peut être un surdoué fainéant, un pas très doué besogneux, un hypocondriaque, un anxieux… Ca permet d’être beaucoup plus précis sur la manière d’entrainer les chevaux : Un surdoué fainéant, on évitera de lui faire rabâcher la même chose tous les jours au risque de le blaser, on va plutôt faire des séances assez courtes qui stimulent son intellect et son talent. Un moins doué très bosseur, on va lui proposer des exercices plus faciles, parce qu’il se donne à 200% et qu’il ne faut surtout pas qu’il doute de lui, pour qu’il croie en son talent. Ca peut mettre 6 ou 8 mois pour réellement cerner le mental d’un cheval.
Qui est le cheval le plus délicat que tu aies eu à monter dans ta carrière ?
Un cheval délicat peut l’être techniquement ou mentalement. Qalao est celui qui m’a le plus appris sur la gestion des émotions d’un cheval sur les 3 tests : Sur le cross c’était un guerrier, mais si je lui mettais trop de pression il aurait été capable de sauter tellement fort qu’il en serait tombé ! Le cheval qui m’a demandé le plus de travail dans ma relation avec luo et la précision de mon équitation, c’est donc Qalao.
Quel est le cheval qui a le plus marqué ta carrière ?
Difficile à dire, je n’ai pas de chevaux « préférés », je me nourris de tous les chevaux que j’ai. Il y en a tellement qui m’ont apporté de choses, je pense à Qatar qui a été le premier à m’emmener sur un podium de 5*, mais ce serait quand même Qalao, qui m’a amené à la place de n°3 mondial, qui a participé à trois 5*, en finissant deux fois 2ème et une fois 1er… Des chevaux comme ça marquent une carrière. Lors d’une discussion avec Mark Todd, ce dernier m’a d’ailleurs demandé comment était Qalao sur le cross, je lui ai répondu que c’était incroyable, et que même sur des cross de 10 ou 11 minutes j’étais obligé de toujours lui demander de ne pas trop en faire, de ne pas aller trop vite, de ne pas sauter trop fort. Il m’a répondu d’en profiter, car ça ne lui était arrivé que 2 fois dans sa vie de monter des chevaux avec ce tempérament. Quand on connait la carrière de Todd et le nombre de chevaux qu’il a monté, ça montre bien à quel point c’est exceptionnel.
Quels sont les exercices que tu préconises pour muscler le dos et les abdos de tes chevaux ?
C’est un long processus. Il y a une étape dans le travail du cheval que peu de gens respectent, il s’agit de la mise sur la main. Je ne parle pas de la mise EN main, qui correspond au chanfrein perpendiculaire au sol dans la position du ramené. Avant cette étape là, il y a la mise SUR la main, dont la définition est « la poussée des postérieurs qui, transmise par un dos souple, se reçoit sur la main du cavalier ». Ca veut dire qu’à aucun moment le cavalier ne prend le contact, il cherche à le recevoir parce qu’il crée de l’énergie. Cette étape là, n’est selon moi jamais assez validée par les cavaliers, qu’ils soit amateurs ou professionnels, et je pense qu’elle est très importante pour la musculation du dos et le fonctionnement des chevaux : c’est de l’énergie qu’on crée par la poussée, ça veut dire que le cheval doit être devant le cavalier et en avant des jambes. Après seulement, grâce à des exercices latéraux par exemple, on va amener une transmission souple jusqu’à la bouche, et là on va recevoir une tension qui est franche, constante.
Souvent les gens veulent un contact trop léger, trop tôt. Si on a une poussée constante, une bonne souplesse du dos et qu’on reçoit au bout des rênes un contact assez franc (pour certains chevaux, on peut avoir même l’impression qu’ils tirent au bout des rênes) on met le dos en tension de la tête à la queue et c’est là qu’on muscle les chevaux, qu’ils prennent du chignon, du muscle sous la selle : Ca fait comme un arc, et les chevaux bandent leur ligne du dessus. Cette étape là peut être validée à 4, 5 ou même 6 ans, pour ma part je peux passer jusqu’à 2 ans là-dessus jusqu’à obtenir une poussée constante et un dos fort. Ensuite seulement je vais travailler l’équilibre et le ralentissement des allures, et ça va amener l’abaissement des hanches et le franchissement de l’attitude avec la position du ramené. L’erreur la plus commune est de rechercher trop tôt ce ramené alors que le dos n’est pas musclé et en place, avec des chevaux qui vont se creuser en se remontant au lieu de baisser leurs hanches et de nous porter. Il ne faut pas avoir peur, surtout avec les chevaux très souples voire un peu laxes et pas très tendus, de les tendre et de demander un contact franc sur les rênes.
Quel est ton plus beau souvenir ?
C’est une question très difficile parce que j’en ai beaucoup ! Mais quand on saute, sur un concours particulier, le dernier obstacle d’un parcours, de cross ou d’hippique, quand on sait le temps qu’il faut en terme de préparation pour en arriver là, c’est un moment rare.
Alors dans les derniers obstacles qui m’ont donné des frissons, il y a eu ceux de tous les 5*, j’ai dû en faire 5 ou 6, et en plus j’ai été maxi quasiment à chaque fois donc quand en plus on voit qu’on a le temps de passer la ligne et que le cheval va bien, c’est incroyable. J’ai quand même un souvenir particulier du stade d’Ornano à Caen, lors des Jeux Mondiaux en Normandie, quand j’ai sauté le dernier obstacle devant 25000 personnes.
Merci à Fleur, Eva, Manon, Jade, Lison et tous les autres pour leurs questions.
Edité le 19/05/2020
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